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Un portrait de l’empereur chinois Qianlong en biscuit de Sèvres

Publié le , par Claire Papon
Vente le 28 mai 2024 - 14:00 (CEST) - Salle 15 - Hôtel Drouot - 75009
Cet article vous est offert par la rédaction de la Gazette

Seul exemplaire connu en mains privées, ce portrait de Qianlong en biscuit de Sèvres rappelle les relations établies entre la France et la Chine au XVIIIe siècle.

Manufacture royale de Sèvres, L’Empereur de Chine, portrait de Qianlong (1711-1799),... Un portrait de l’empereur chinois Qianlong en biscuit de Sèvres
Manufacture royale de Sèvres, L’Empereur de Chine, portrait de Qianlong (1711-1799), biscuit de porcelaine dure attribué à Le Riche sous la direction de Boizot, entre 1775 et 1779, marques en creux sur le socle «B» (pour Boizot) et «9» (numéro de moule), 40,5 14,5 14 cm.
Estimation : 20 000/30 000 

Ce 1er avril, à Pékin, s’ouvrait au musée du Palais impérial l’exposition «Le château de Versailles et la Cité interdite, les échanges entre la France et la Chine au XVIIIe siècle» (jusqu’au 30 juin 2024). Notre statuette y aurait probablement trouvé sa place. Elle est l’un des treize biscuits représentant Qianlong – quatrième empereur de la dynastie mandchoue des Qing – réalisés par la manufacture royale de Sèvres entre 1775 et 1779, et l’un des trois connus à ce jour. Un autre exemplaire est au musée des Arts décoratifs, à Paris, le troisième au Museum of Fine Arts de Boston, la terre cuite originale de 1775 — exécutée sous la direction de Louis-Simon Boizot (1743-1809) — se trouvant quant à elle au musée national de la Céramique à Sèvres. Si les dimensions de notre figure et sa rareté sont parmi ses atouts, elle impressionne au moins autant par sa finesse – celle des mains et du visage notamment –, le rendu de la pelisse et du bonnet de fourrure, et par le réalisme du portrait de celui qui régna sur la Chine de 1736 à 1795. À la différence des «chinoiseries» sorties des fours de la manufacture royale française au XVIIIe siècle, il ne s’agit pas d’une figure de fantaisie, mais d’une représentation fidèle de ce souverain étranger. Son modèle ? Une aquarelle aujourd’hui perdue du père Giuseppe Panzi (1734 - av.1812) – peintre jésuite qui travaillait au service de Qianlong –, prêtée à la manufacture de Sèvres par Henri Bertin (1720-1792). Contrôleur des Finances de Louis XV jusqu’en 1763, celui-ci est ensuite nommé secrétaire d’État en charge de la Compagnie des Indes, des manufactures de coton et toiles peintes, des haras et des écoles vétérinaires, des carrosses et des canaux, des sociétés d’agriculture et des loteries… Un ministère taillé sur mesure, qui met également Sèvres sous sa tutelle.

Fasciné par la Chine

Client important, Bertin n’hésite pas à influer sur les choix artistiques de l’entreprise, suggérant des décors et apportant des modèles. Depuis 1765, il entretient une correspondance avec la mission jésuite à Pékin. Une démarche particulièrement avisée, les membres de la Compagnie de Jésus bénéficiant d’un accès particulier à la cour de l’empereur, où l’on apprécie leurs qualités de savants et d’artistes. Chaque hiver, au retour des vaisseaux français en Europe, les religieux envoient à Bertin des rapports complets sur la culture chinoise, mais aussi des livres, des aquarelles, des objets. C’est donc lui qui apporte à Sèvres l’aquarelle du père Panzi qui servira de modèle au biscuit, mais aussi à des tableaux sur porcelaine. En 1776, une première plaque de Charles-Éloi Asselin est vendue à Louis XVI – dont l’amour pour Sèvres était sans limite –, au prix considérable de 480 livres. Une seconde suivit comme cadeau diplomatique en 1781. Elle est accompagnée d’un exemplaire du biscuit de l’empereur de Chine, mais il semble que Giuseppe Panzi ne les ait pas livrées. «Je me suis informé auprès de M. Panzi de l’usage qu’il avoit fait de la statue en pied de l’empereur, et du portrait peint sur porcelaine de ce prince. Il m’a répondu qu’il garde la statue dans sa chambre et qu’il ne se rappelle plus ce qu’est devenu le portrait», écrit le père jésuite Joseph-Marie Amiot à Bertin. Malencontreux oubli… Vraisemblablement élaborée au cours de l’année 1775, la figure de Qianlong est donnée au sculpteur Josse-François-Joseph Le Riche, comme en attestent les initiales «LR» sur les exemplaires conservés à Paris et Boston. Modeleur puis chef des sculpteurs à Sèvres, celui-ci y fit toute sa carrière, de 1757 à 1801, et travailla avec Louis-Simon Boizot. Nommé directeur de l’atelier de sculpture en 1773, ce dernier s’attache à mettre au point une pâte moins sableuse et plus vitrifiée que la pâte dure normale, avec une surface finement polie qui la fait ressembler au marbre. Le biscuit – pâte dure sans couverte – lui permet de développer le répertoire de la sculpture.

Notre exemplaire est le seul connu à ce jour en mains privées.


Cadeaux diplomatiques

Personnages de la mythologie, du théâtre populaire ou des contes de La Fontaine inspirent à la manufacture de Sèvres des créations parmi les plus prisées de la famille royale. Sans oublier la série des «Grands hommes de la France», répliques des marbres grandeur nature initiés par le comte d’Angiviller, surintendant des Bâtiments du roi, nommé en 1774. Molière y voisine avec Vauban ou Bayard puis avec Joseph II d’Autriche, Benjamin Franklin ainsi qu’un jeune prince de Cochinchine dont l’identité n’est pas précisée, mais qui pourrait être le fils de Gia Long, futur empereur d’Annam. Exécuté en 1787, ce biscuit trouve son origine dans le cadre du traité d’alliance entre la France et cette partie du globe. Qu’en est-il de la figure de Qianlong ? Il semble qu’elle ait connu un succès limité puisque seuls treize exemplaires furent vendus : le premier à la duchesse de Mazarin, le 10 août 1776, d’autres à Marie-Antoinette, Madame Adélaïde, la comtesse d’Artois ou l’ambassadeur de Sardaigne, et le dernier le 26 mai 1779. La somme relativement modeste de 72 livres peut s’expliquer par la simplicité du modèle, qui requérait sept moules pour sa fabrication quand des groupes plus ambitieux en nécessitaient jusqu’à cent ! Habitués à des créations plus fantasques ou plus aimables, les clients peuvent avoir été déroutés par l’austérité du portrait d’un monarque étranger, empreint d’une ironique sagesse. Notre exemplaire est le seul connu à ce jour en mains privées. Il a fait partie d’une collection française – comme en atteste une expertise de la manufacture de Sèvres du 6 juillet 1883 – puis a appartenu à un certain M. Poulet, antiquaire à Versailles. Il est acheté chez ce dernier le 14 décembre 1929 par la comtesse de Choiseul-Praslin (1895-1982), qui en fait cadeau à son filleul, père de l’actuelle propriétaire. Quel sera son prochain écrin ? Réponse dans quelques semaines.

mardi 28 mai 2024 - 14:00 (CEST) - Live
Salle 15 - Hôtel Drouot - 75009 Paris
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